L'expérience de mort imminente ou EMI (
Near Death Experience ou
NDE en anglais), parfois appelée
expérience aux frontières de la mort (
EFM) est un ensemble de sensations décrites par certains individus qui ont pu être réanimés après un coma avancé ou une mort clinique.
Ces expériences ont été identifiées et décrites par le psychiatre Raymond Moody en 1975 sous le nom de « Near Death Experience » (NDE), reprenant une expression qui avait déjà été proposée par Victor Egger en 1895. Elle est cependant loin d'être constante : d'après un article de Pim van Lommel publié dans la revue the Lancet du 15 décembre 2001, sur 344 patients réanimés d'un coma secondaire à un arrêt cardio-circulatoire, 18 % (62 patients) décrivaient une réelle EMI. D'autres études semblent indiquer que ce chiffre pourrait être légèrement surévalué et que la fréquence réelle serait d'environ 12 %.
Après avoir repris conscience, les patients font un récit qui présente souvent de nombreuses similitudes : impression de décorporation, conviction d'être mort mais conscient dans un corps immatériel, déplacement le long d'un tunnel, lumière intense, rencontre avec des personnes décédées ou des "êtres de lumière", remémoration en accéléré de sa propre existence, prises de conscience, etc. Dans l'immense majorité des cas, il s'agit d'une expérience agréable et qualifiée de "lumineuse", voire clairement mystique, souvent si forte que la personne éprouve ensuite des difficultés pour revenir à la réalité matérielle du monde. Seuls 4 % des personnes décrivent cette expérience comme effrayante ou désespérante.
Les expériences de ce type sont en général très marquantes pour les sujets qui les vivent. Le retour à la conscience peut s'accompagner d'une certaine confusion entre l'EMI et la réalité et à une peur d'être considéré comme victime de maladie mentale. À plus long terme, on note fréquemment un développement de l'empathie, la remise en cause des priorités et la modification du mode de vie. On assiste également souvent à une perte d'intérêt pour les dogmes religieux, au développement de la croyance en la vie après la mort et à un intérêt accru pour les questions spirituelles et la transcendance.
Ce genre d'expérience peut aussi conduire à une certaine souffrance en cas de rejet. Les réactions du milieu familial et des amis sont importantes pour l'équilibre des sujets.
Ces EMI ont motivé de nombreuses études poussées effectuées par des biologistes, physiciens, anthropologues, médecins et théologiens visant à bien comprendre les différents stades d'après vie qu'un mécanisme neuro-chimique ne permet pas d'expliquer en totalité.
Si à peu près toutes les religions véhiculent un discours sur la mort qui ne peut sans doute qu'influer sur le sens que les gens donnent à une expérience de mort imminente, il en va exactement de même du matérialisme qui pousse forcément à interpréter ces expériences à la lumière de la conviction que tout a une explication causale. Sur un sujet comme celui-ci, où la science est encore balbutiante mais où les enjeux spirituels sont importants, il est difficile pour ceux qui n'ont pas vécu d'EMI de faire la part des choses entre ce qui est du domaine de la connaissance et celui de la conviction.
Il est extrêmement difficile d'appliquer la méthode scientifique à ce type d'expérience subjective. On ne peut se baser que sur le témoignage des personnes qui rapportent avoir vécu cette expérience et seules l'accumulation, la concordance et surtout la réalité des effets secondaires permettent d'envisager que ces témoignages se rapportent à quelque chose de réel. En faire un réel sujet d'étude scientifique nécessiterait cependant que l'on soit capable de quantifier ce phénomène de manière plus objective.
Kenneth Ring a notamment construit l'indice WCEI (
Weighted Core Experience Index) pour mesurer la « qualité » de l'EMI (
Life at death. A scientific investigation of the near-death experience, 1980) et Bruce Greyson une échelle de qualification des témoignages (
The NDE Scale. Construction, Reliability and Validity, 1983).
Il existe aujourd'hui de nombreuses théories, dont certaines sont tout à fait sérieuses, mais aucune ne parvient à expliquer rationnellement l'ensemble des observations.
La proximité de ces expériences avec la mort fait partie du questionnement de la science autour des EMI. Par définition, pour notre sens commun, si le patient a pu être réanimé, c'est qu'il était toujours vivant. Rien ne permet donc d'affirmer formellement que l'EMI est une preuve de la survie de l'âme après la mort. Des expériences similaires auraient été rapportées par des personnes suite à un accouchement, un malaise ou pendant une anesthésie à la kétamine, alors que leur pronostic vital n'était pas en jeu. La prise d'hallucinogènes ou même certaines techniques de méditation pourraient également provoquer des sensations que certains rapprochent de l'EMI.
Selon des études épidémiologiques, les témoignages d'EMI seraient plus fréquents chez les sujets âgés de moins de 60 ans, ou bien ayant une saturation en dioxygène élevée.
Sur un plan physiologique, l'EMI ne peut pas être apparentée aux états modifiés de conscience, au rêve, aux hallucinations, et à certains cas d'épilepsie. Ces dernières sont mieux scientifiquement connues et peuvent par exemple être dues à l'anoxie qui provoquerait un dysfonctionnement de l’hippocampe.
Certains ont fait un rapprochement avec les irruptions de sommeil paradoxal dans l'état de veille constatées dans certaines pathologies. Il s'agit d'une activation du cortex occipital, régulée par plusieurs structures du tronc cérébral comme le noyau pédonculopontin, le tegmentum latéral, le raphé dorsal, le
locus coeruleus (mécanisme cholinergique qui contrebalancerait la réaction d'alerte noradrénergique impliquant le
locus coeruleus).
Sur un plan psychologique, les EMI seraient pour certains un mécanisme de protection de la conscience. Celle-ci se mettrait au repos face à une expérience traumatisante comme l'approche de la mort, mais cela semble assez loin d'expliquer la force des ressentis des personnes ayant vécu une EMI.
En 2002, Olaf Blanke, Stephanie Ortigue, Theodor Landis et Margitta Seeck, du département de neurologie de l'hôpital universitaire de Genève ont publié dans la revue Nature un article décrivant une expérience autoscopique provoquée par la stimulation électrique d'une région spécifique du cerveau chez une patiente épileptique. La décorporation (appelée aussi voyage astral ou OBE,
Out of Body Experience) est un autre phénomène ancien aux marges de la science, ce n'est cependant qu'un tout petit aspect en rapport avec une EMI.
Néanmoins, un cas typique de témoins d'EMI est bien celui de Pamela Reynolds. Cette Américaine a vécu une EMI pendant une opération d'un anévrisme au cerveau. Les chirurgiens ont dû tenter l'opération en abaissant sa température corporelle et en mettant en place une circulation sanguine extracorporelle. Elle a donc pu être maintenue plus longtemps dans un état avec un électroencéphalogramme (EEG) plat, c'est-à-dire sans aucune activité électrique dans le cerveau (cortex), elle était donc inconsciente au sens médical du terme. Mais le plus surprenant c'est qu'au moment de l'arrêt de son EEG, elle est sortie de son corps et a pu raconter, après coup, toute l'opération en détail, les anecdotes entre infirmières, les discussions, etc. Puis elle a vécu une phase transcendante, le tunnel, la lumière connaissance-amour universelle. Ce cas est décrit en détail dans
Light and Death du cardiologue américain Michael Sabom (initialement sceptique sur ces expériences), et repris par Daniel Maurer dans
Les Expériences de mort imminente (voir bibliographie)
Les témoignages sont très rares avant la seconde moitié du XXe siècle, on en connaît cependant depuis l'antiquité comme le
mythe d'Er dans La République de Platon. Selon les études, entre 8 et 35 % des personnes confrontées à un risque vital rapportent une EMI. On en trouve dans le monde entier, les récits sont donc indépendants de la religion et de la culture mais il y a tout de même une forte prévalence des États-Unis par rapport au reste du monde, y compris par rapport à l'Europe qui a pourtant un niveau de soins équivalent pour les techniques de réanimation. D'après un sondage de 1982, huit millions d’Américains affirmaient avoir vécu une EMI.
Néanmoins, les études prospectives menées en France dans le monde montrent que le sexe, l'âge, la catégorie socio-culturelle et la religion n'ont aucun effet sur les perceptions durant l'EMI.
L'incapacité actuelle de la connaissance scientifique à fournir une explication rationnelle satisfaisante, et la proximité de ces expériences avec l'au-delà sont évidemment un enjeu pour les traditionnelles interprétations mythologiques et du religieux ou plus simplement pour une vision spiritualiste de la condition humaine. De nombreux aspects des récits d'expériences de mort imminente font état de phénomènes qu'on retrouve dans des textes sacrés, dans le mouvement spirite, le thème hindouiste du karma, de la réincarnation ou des phénomènes paranormaux.
Certains témoignages rejoignent une certaine thématique du mouvement New Age, certains sujets font en EMI l'expérience d'une sorte de transcendance, d'illumination. Il n'est pas impossible que cette culture influence certains sujets dans le vocabulaire qu'ils utilisent pour décrire les EMI. En effet, lorsque l'on parle d'un voyage astral, par exemple, on parle toujours d'une décorporation, mais pas nécessairement lors de l'approche de la mort.
Selon certains kabbalistes modernes, les états rencontrés lors d'une EMI seraient décrits par les sephiroth de la kabbale. Sous cette optique mystique, on pourrait mourir une dizaine de fois, à chaque fois intégrant un nouveau monde (ou sephirah, singulier de sephiroth).
Selon un théologien catholique comme Arnaud Dumouch, le caractère personnel de l'être de lumière, la manifestation qu'il opère avec vérité sur la vie du mourant et son jugement portant sur l'amour fait penser au mystère du retour du Christ dans sa gloire, accompagné des saints et des anges, tel qu'il est annoncé dans le Credo : "Il reviendra dans sa gloire juger les vivants et les morts".
Cependant, la plupart des témoins d'EMI insistent sur le caractère spirituel de l'expérience, plutôt que spécifiquement religieux.
Il est difficile de savoir, si le scénario des EMI est une création du cerveau pour construire, à partir d'un ensemble de sensations, un récit cohérent avec les références culturelles du sujet, ou si ce sont des expériences de ce type qui ont par exemple influencé la rédaction de textes religieux. Quoi qu'il en soit, pour de nombreuses personnes ayant vécu une EMI, le plus important reste l'impression d'avoir été confronté à quelque chose de sacré, à un amour transcendant mettant en vedette l'existence de l'âme. Cet aspect est malheureusement encore plus difficile à étudier objectivement que le reste du phénomène et ne peut que renvoyer chacun à ses propres convictions et/ou interrogations.