Le retour de Jean-Marie Le Pen sur le devant de la scène lors de l'élection présidentielle est l'occasion de se rappeler que le combat contre l'extrême droite n'est jamais fini. L'extrême droite française est née avec le siècle. Un peu d'histoire.
Le génie de Jean-Marie Le Pen, c'est d'avoir réussi à fédérer durablement toutes les traditions de la droite dure et extrême qui se sont succédées dans notre pays depuis un siècle. Il y avait toujours eu un parti conservateur en France. Mais l'émergence d'une droite conservatrice dure, révolutionnaire, violente et antisémite trouve ses premières manifestations dans la France de la IIIe République. Après la défaite de 1871, la France est amputée de l'Alsace-Lorraine. Un courant revanchard apparaît qui se nourrit de l'antiparlementarisme et de l'antisémitisme. Les scandales et l'Affaire Dreyfus ouvrent un espace à ce nouveau pan de l'échiquier politique.
De l'Affaire Dreyfus au 6 février 1934
Le nationalisme français se développe sous l'impulsion d'hommes comme Drumont, Déroulède et surtout Barrès et Maurras. L'Affaire Dreyfus coupe la France en deux, avec, du côté des antidreyfusards, un courant qui s'est structuré autour d'Action française. Mouvement d'intellectuels, doté d'un organe de presse et de groupes violents (les camelots du roi), cette ligue monarchiste, catholique et antisémite va rayonner sur sa génération pendant près d'un demi de siècle.
Après la défaite de l'Allemagne en 1918, la droite dure devient viscéralement antibolchévique. Outre les monarchistes de l'AF, il y les mouvements d'anciens combattants comme les Croix de feu du colonel de la Roque. Aucun mouvement fascisant de masse n'émerge réellement, mais une multitude de ligues ayant plus ou moins en commun, l'antisémitisme, l'antiparlementarisme, l'anticommunisme et un nationalisme exacerbé. Le 6 février 1934, ces mouvements manifestent place de la Concorde, menaçant pour un soir, la République. Dans les années 30, alors que l'Europe voit fleurir un peu partout des régimes autoritaires fascistes, l'extrême droite française rayonne sur le plan littéraire avec des plumes comme Céline, Brasillach ou Drieu la Rochelle.
Vichy
Si l'extrême droite est divisée, elle est au moins unie sur un point. Pour elle, la France décline et l'homme de la situation est Philippe Pétain, le vainqueur de la bataille de Verdun. C'est donc à lui que le Parlement abandonne les pleins pouvoirs en 1940 après la débâcle. C'est alors que Pétain met en place la Révolution nationale. Un régime corporatiste, ultra conservateur, catholique dont la capitale est Vichy. Il a avec lui les éléments les plus radicaux du fascisme français comme Jacques Doriot vendu du PCF et qui a fondé un Parti social français, Joseph Darnand qui a fondé une Milice, organisation paramilitaire qui prête main forte aux nazis, Charles Maurras comme autorité morale et Pierre Laval comme chef du gouvernement. Le régime pétainiste collabore avec les nazis avant de s'écrouler en 1944.
De la Guerre d'Algérie aux années de plomb
La découverte de l'horreur des camps de concentration rejette durablement l'opprobre sur l'extrême droite. Désormais, rien ne sera plus jamais pareil. Même si dès 1949, dans la jeunesse, avec Jeune Nation animé par les frères Sidos, la pensée vichyssoise et fascisante survit. Mais désormais, l'extrême droite est condamnée à rester groupusculaire pour longtemps. Cependant, aux élections de 1956, condamnant le parlementarisme, un parti populiste fait une percée remarquée, c'est l'UDCA de Pierre Poujade avec dans ses rangs, le benjamin de l'Assemblée nationale, Jean-Marie Le Pen.
La Guerre d'Algérie est l'occasion d'une résurgence avec le conflit qui oppose les partisans de l'Algérie française au reste du pays. En 1961, un putsch manqué fait apparaître l'Organisation armée secrète (OAS) qui regroupe des militaires et des nostalgiques de Vichy. Cette organisation terroriste agit à la fois en Algérie et en France.
Les années 60 qui commencent voient apparaître une extrême droite nostalgique d'un côté et une extrême droite violente, révolutionnaire, à la fois anti-impérialiste et anti-communiste. Son premier combat est de lutter contre le gaullisme. La candidature de l'avocat Pierre Tixier-Vignancour en 1965, dont le bras droit est Le Pen, à l'élection présidentielle recueille plus de 5 % des voix. Pour autant, c'est la première tentative de légitimation par les urnes. L'activisme violent se poursuit dans la jeunesse avec l'émergence de mouvements comme Occident, Ordre nouveau et bientôt le GUD. Rassemblant quelques centaines d'étudiants, ils manient mieux la barre de fer que la théorie politique. Creuset pour une génération qui, majoritairement finit à droite (Madelin, Longuet, Goasguen, Devedjian etc.) ce mouvement est aussi savamment instrumentalisé par les partis de droite.
Parallèlement, à la fin des années 60, on assiste à une tentative de mise à jour idéologique pour dépasser le racisme folklorique et donner une structuration scientifique à la pensée d'extrême droite. C'est l'émergence de la Nouvelle droite autour de personnes comme Alain de Benoist ou Bruno Mégret. Cette pensée suinte à droite dans des publications comme le Figaro magazine et tant au RPR qu'à l'UDF.
Le Front national
En 1972, deux mouvements d'extrême droite, Ordre Nouveau et le Parti des forces nouvelles constituent un parti politique, le Front national pour participer aux élections législatives de 1973. La présidence est confiée à Jean-Marie Le Pen. Le FN se construit sur le modèle du MSI de Giorgio Almirante, un parti néo fasciste ouvertement mussolinien. Le FN reste groupusculaire, en concurrence avec d'autres mouvements qui déclinent rapidement. En 1983, lors d'une municipale partielle à Dreux, le numéro deux du FN, Jean-Pierre Stirbois parvient à se faire élire grâce au soutien de la droite. Dès lors, sur fond de crise, la percée électorale du FN se précise au point qu'il peut atteindre plus d'une trentaine de députés aux élections de 1986. Le parti de Le Pen, par ses succès électoraux, le charisme de son chef et sa capacité à capter à la fois les votes protestataires, à donner un espace d'expression aux idées racistes devient durablement installé dans la vie politique française. En 1995, Le Pen recueille près de 15 % des suffrages à la présidentielle et quatre villes tombent aux mains du FN, dont Toulon. En 1998, l'extrême droite est si bien implantée localement que dans quatre régions (Rhône-Alpes, Picardie, Bourgogne et Languedoc-Roussillon), la droite n'hésite pas à faire alliance avec elle pour en garder ou en gagner la présidence. Au point que les autres formations politiques se déterminent parfois par rapport à lui notamment sur le fond. C'est ce qu'on va appeler la lepénisation des esprits.
La lepénisation des esprits
Le Pen parvient à fédérer durablement autour de lui toutes les traditions de l'extrême droite française. Et la porosité avec la droite est si forte que la base des partis traditionnels n'est pas si intransigeante avec le FN que leurs responsables politiques. Le Pen alterne entre "dérapages verbaux" et victimisation. Le socle idéologique du FN se structure avec la contribution de brillants théoriciens comme Mégret, Blot et Le Gallou. Ce dernier invente le concept de "préférence nationale" dans lequel il va justifier toute l'idéologie lepéniste basée sur la discrimination systématique des immigrés, l'inégalité des races, le corporatisme, l'inégalité entre les femmes et les hommes, la fermeture des frontières, etc…
Mais il y a un débat interne sur la stratégie. Si Le Pen, fidèle à la tradition de la droite révolutionnaire "attend son heure", voulant prendre seul le pouvoir, Mégret s'approprie une pensée gramscienne mal digérée. Il veut conquérir le pouvoir culturel (dominer les référents de la pensée) pour conquérir le pouvoir politique. Par ailleurs, si Le Pen surfe opportunément sur le "ni droite ni gauche", Mégret, lui, a choisi son camp et il est de droite. Il veut conquérir le pouvoir en s'alliant avec la droite. L'avènement du premier gouvernement d'Alliance nationale de Berlusconi en 1994 avec le soutien l'extrême droite. Ces deux stratégies s'opposent et provoquent une scission au début de l'année 1999 entraînant déclin relatif du FN. Mais si sa dynamique s'est brisée, le FN reste, dans les représentations, le parti de la peur, du repli sur soi et de la discrimination. C'est ainsi que, excités par les discours de la droite sur l'insécurité, perplexes quant à l'avenir, beaucoup de Français ont porté Le Pen en deuxième position lors de l'élection présidentielle le 21 avril.